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22

juin
2023

Articles

Droit civil

22/ juin
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Droit civil

Garantie autonome ● Le donneur d’ordre n’a pas à justifier du remboursement préalable du garant pour agir contre le bénéficiaire en perception indue du montant de la garantie

Civil ● Sûretés ● Garantie à première demande > Conditions de recevabilité du recours du donneur d’ordre contre le bénéficiaire pour perception indue du montant de la garantie

Cour de cassation, Ch. Com., 14 juin 2023, Pourvoi n° 21-23.864 (Publié au Bulletin) [Rejet]

SYNTHESE

Pour être recevable, sur le fondement du contrat de base, à demander au bénéficiaire la restitution partielle ou totale du montant d'une garantie à première demande, le donneur d'ordre à la charge d'établir que le bénéficiaire en a reçu indûment le paiement par la preuve, soit de l'exécution de ses propres obligations contractuelles, soit de l'imputabilité de l'inexécution du contrat à la faute du cocontractant bénéficiaire de la garantie, sans avoir à justifier du remboursement préalable du garant.

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La solution expressément arrêtée pour la première fois par la chambre commerciale de la Cour de cassation française, fondée sur le critère du paiement de la garantie et non pas sur le remboursement préalable du garant, contribue à maximiser l'effet de la garantie autonome, une sûreté détachée de la créance principale.**

Cet arrêt mérite d'être signalé également à Monaco. Pour mémoire, les dispositions du Code civil monégasque et du Code civil français relatives à la garantie autonome sont identiques. *

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EN DETAIL

Les faits et la procédure

L'affaire trouve son origine dans un contrat de location-gérance d’un fonds de commerce d’hôtel-restaurant-bar (le contrat de base), entre la société propriétaire de l'hôtel et une société filiale aux droits de laquelle se trouve sa société mère.

En 2007, une garantie à première demande est consentie par la société mère (garant) au profit de la société propriétaire de l'hôtel (bénéficiaire) en cas de défaillance de sa filiale (donneur d'ordre) dans le règlement des sommes dues au titre de la location-gérance.

La filiale ne renouvelle par le contrat de location-gérance.

En 2017, la société propriétaire de l'hôtel assigne la société mère en exécution de la garantie, invoquant une non-remise en état des lieux et une perte de valeur du fonds de commerce exploité.

Elle est accueillie en sa demande, et la société mère condamnée à lui payer la somme de 611.187,40 €.

La société filiale, soutenant que les conditions de mise en œuvre de la garantie consentie en 2007 n'étaient pas réunies lorsqu'elle a été appelée par la société propriétaire de l'hôtel, l'assigne en remboursement sur le fondement du contrat de base.

De son côté, la société propriétaire de l'hôtel faisait valoir que la filiale n'avait ni qualité ni intérêt pour solliciter le remboursement d'une somme qu'elle n'avait pas payée personnellement et qu'elle ne justifiait pas avoir dû payer à la société mère.

Par un arrêt du 5 octobre 2021, la Cour d'Appel de Chambéry fait droit aux prétentions de la filiale, aux motifs que "le donneur d'ordre d'une garantie à première demande est recevable à demander la restitution de son montant au bénéficiaire, à charge pour lui d'établir que le bénéficiaire en a reçu indument le paiement, par la preuve de l'exécution de ses propres obligations contractuelles ou par celle de l'imputabilité de l'inexécution du contrat à la faute du cocontractant bénéficiaire de la garantie ou par la nullité du contrat de base, et ce sans avoir à justifier d'une fraude ou d'un abus manifeste, comme en cas d'opposition préventive à l'exécution de la garantie par le garant".

La Cour, tout en fixant à 115.000 € le montant du préjudice subi par la société propriétaire de l'hôtel ensuite de la restitution de son fonds de commerce, a condamné cette dernière à rembourser à la filiale la somme de 633.928,99 € outre intérêts au taux légal.

Le pourvoi en cassation

La société propriétaire de l'hôtel, demanderesse au pourvoi, soutenait que si le donneur d'ordre dispose contre le bénéficiaire d'une garantie autonome, d'un recours en remboursement fondé sur le contrat de base en cas d'appel injustifié de la garantie, l'exercice de ce recours fondé sur l'enrichissement sans cause exige que le donneur d'ordre se soit appauvri en remboursant au garant les sommes réglées par ce dernier au bénéficiaire.

Il était ainsi fait grief à l'arrêt de la Cour d'Appel d'avoir déclaré recevable les prétentions du donneur d'ordre (la filiale) sans s'assurer que celui-ci avait remboursé au garant (la société mère) la somme versée au bénéficiaire (la société propriétaire de l'hôtel) en exécution de la garantie à première demande.

La Chambre commerciale de la Cour de cassation rejette le pourvoi, aux motifs que :

"Après paiement d'une garantie (ou contre-garantie) autonome, le donneur d'ordre est recevable à exercer un recours contre le bénéficiaire pour faire juger que celui-ci a perçu indûment le montant de la garantie, sans avoir à justifier du remboursement préalable du garant."

L'apport de l'arrêt du 14 juin 2023 ne réside pas tant dans la solution retenue qui n'est pas en soi révolutionnaire, mais dans le fait de la signaler clairement, pour la première fois.

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*La consécration légale de la garantie autonome à Monaco

La consécration dans le Code civil monégasque de la garantie autonome, fruit de la liberté contractuelle, est récente.

Elle résulte de la Loi n° 1.529 du 29 juillet 2022 portant diverses dispositions d’ordre économique et juridique (JDM n° 8603 du 12 août 2022) qui a intégré cet outil juridique permettant de garantir le créancier contre le risque d’insolvabilité du débiteur, à l’article 1882-1 Code civil, lequel reprend la formulation de l’article 2321 du Code civil français.

**Le mécanisme de la garantie autonome

La garantie autonome est définie par le Code civil comme « l’engagement par lequel le garant s’oblige, en considération d’une obligation souscrite par un tiers, à verser une somme soit à première demande [garantie à première demande], soit suivant des modalités convenues. »

Elle repose donc en principe sur une relation triangulaire, entre :

  • le donneur d’ordre (le débiteur au titre du contrat de base),
  • le garant (le plus souvent un banquier qui a consenti un crédit par signature au donneur d’ordre), et
  • le bénéficiaire (le créancier du donneur d’ordre).

L’objet de la garantie autonome n’est pas la dette du débiteur mais le paiement d’une somme (déconnectée de la dette garantie, autonome). Ainsi, le garant s’engage à la demande du donneur d’ordre à payer au bénéficiaire une certaine somme d’argent au montant déterminé à l’avance.

D'où la règle essentielle que le garant ne peut se prévaloir des exceptions que le débiteur pourrait opposer au bénéficiaire (tenant à la personne du débiteur ou à l’obligation garantie). Le garant est donc tenu de répondre à l’appel en garantie, sauf en cas d’abus ou de fraude manifeste du bénéficiaire ou de collusion de celui-ci avec le donneur d’ordre.

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