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16

mai
2022

Articles

Droit immobilier et de la construction

Droit civil

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Droit immobilier et de la construction — Droit civil

Vente immobilière. Protection des vendeurs contre les sous-évaluations substantielles

Très bonne affaire sur un bien immobilier et importante plus-value à la revente ?

La loi protège les vendeurs contre les prix de vente largement sous-évalués avec l’action en rescision pour lésion des 7/12e du contrat de vente immobilière (articles 1516 à 1525 du Code civil), à ne pas confondre avec l’action en nullité de la vente pour absence de cause en raison du prix dérisoire de celle-ci (article 986 du Code civil), ou encore pour vice du consentement en cas d’erreur, de violence ou de dol (article 964 du Code civil).

Une modification rédactionnelle en matière de rescision pour cause de lésion a été dernièrement apportée par la Loi n° 1.523 du 16 mai 2022 relative à la promotion et la protection des droits des femmes par la modification et l’abrogation des dispositions obsolètes et inégalitaires (suppression d’une disposition patriarcale qui n’avait plus d’utilité juridique)[1].

L’occasion de présenter cette voie d’action peu connue du grand public.

* * *

L'action en rescision pour lésion :

Concrètement, l’action en rescision pour lésion peut être engagée devant le Tribunal de première instance dans les deux ans à compter de la vente si le vendeur a été lésé de plus des 7/12e de la valeur réelle du bien immobilier d’après les prix du marché local (autrement dit, le vendeur a perçu moins des 5/12e).

L’acheteur a le choix entre l’annulation de la vente ou son maintien en payant un supplément de prix, sous la déduction du 10e du prix total.

Illustration :

Madame X vend un de ses appartements au prix de 1.200.000 € à Monsieur Y. Les enfants de Madame X estiment que le bien valait en réalité 3.600.000 € et l’alertent. Elle intente une action en rescision pour lésion des 7/12e.

Si cette évaluation est confirmée par les experts, le Tribunal pourra conclure à la lésion, puisque Madame X n’a reçu que 4/12e de la valeur réelle de son appartement (soit une lésion à hauteur de 8/12e). Monsieur Y pourra alors opter pour l’annulation de la vente, ou l’indemnisation en payant un complément à concurrence du juste prix (soit 2.400.000 €) dont il pourra déduire 10 % du prix total (soit 360.000 €).

Monsieur Y faisant le choix du maintien de la vente, il devra donc verser 2.040.000 € à Madame X. La perception totale pour la vente de l’appartement aura donc été de 3.240.000 €.

Le délai d'action en justice :

Le délai pour agir, de deux ans « à compter du jour de la vente », est un délai dit préfix, c’est-à-dire « non susceptible de suspension ou d’interruption ». En cas de dépassement du délai, la demande sera déclarée irrecevable par les juges, sans examen au fond. [2]

Le délai d’action commence à courir à la « date à laquelle a été dressé l’acte authentique portant vente du bien » (le jour de la passation de l’acte de vente chez le notaire), et « non pas à la date de la promesse synallagmatique de vente (…), qui constitue seulement un acte sous seing-privé ne valant pas vente à sa date de signature ».[3]

Le délai applicable au droit d'option :

Récemment, la Cour de cassation française a apporté une précision intéressante s’agissant du délai dans lequel l’acheteur peut exercer son droit d’opter pour l’annulation ou pour le maintien de la vente, lequel n’est pas mentionné par le Code civil.[4]

Son arrêt de principe revêt un intérêt pour Monaco, dès lors que les dispositions du Code civil monégasque sont identiques à celles considérées du Code civil français.

La Cour a estimé que le droit d’option prévu par l’article 1681 du Code civil français (article 1521 du Code civil monégasque)[5] doit être exercé dans le délai prévu par la décision ayant admis la lésion, ou, à défaut, dans un délai raisonnable. Cette dernière précision est nouvelle.

En l’espèce, a été jugé raisonnable le choix opéré (par le liquidateur judiciaire de la SCI qui avait acheté l’immeuble litigieux) plus de quatre ans après le jugement de rescision de la vente (lequel ne prévoyait pas de délai pour opter).

Si la réalisation de plus-values conséquentes n’est pas rare dans le secteur immobilier, la loi donne ainsi aux vendeurs les moyens de remettre en cause celles qui seraient trop élevées.

La preuve de la lésion peut être difficile à apporter. Mais une revente à court terme assortie d’une grosse plus-value donnera inévitablement des arguments au vendeur initial.

* * *

[1] La Loi n° 1.523 du 16 mai 2022 a supprimé le 2e alinéa de l’article 1518 du Code civil qui prévoyait que « Ce délai [de deux ans à compter du jour de la vente pour intenter l’action en rescision pour lésion] court contre les femmes mariées et contre les absents, les interdits et les mineurs venant du chef d’un majeur qui a vendu ». En France, la Loi n° 2018-703 du 3 août 2018 renforçant la lutte contre les violences sexuelles et sexistes a opéré cette suppression à l’article 1676 du Code civil français.

[2] TPI, 14 novembre 1996.

[3] TPI, 14 novembre 1996. Les articles 1436 et 1432 du Code civil contiennent en effet des dispositions spécifiques aux ventes d’immeubles situés à Monaco : "lorsque la convention a pour objet un immeuble situé dans la Principauté d’une valeur supérieure à 23 €, elle ne produit ses effets qu’à partir du moment où elle est constatée par acte authentique passé devant un notaire monégasque." ; "Lorsque la promesse synallagmatique a pour objet un immeuble situe dans la Principauté d’une valeur supérieure à 23 euros, elle ne vaut vente qu’à partir du moment où elle est constatée ou réalisée par un acte authentique dressé conformément au paragraphe deuxième de l’article 1426. "

[4] Cass., 3e ch. civ., Sec., 5 janvier 2022, Pourvoi n° 20-18.918 (publié au Bulletin).

[5] Article 1521 du Code civil monégasque et article 1681 du Code civil français rédigés à l’identique (issus du Code civil napoléonien) : "Dans le cas où l’action en rescision est admise, l’acquéreur a le choix ou de rendre la chose en retirant le prix qu’il en a payé, ou de garder le fonds en payant le supplément du juste prix, sous la déduction du dixième du prix total. Le tiers possesseur a le même droit, sauf sa garantie contre son vendeur."

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