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Cabinet Avocats en Principauté de Monaco Cabinet Avocats en Principauté de Monaco
26/ mai
2025

Actualités juridiques

Suivi de Monaco sur la mise en œuvre de la Convention des Nations Unies contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants

Présentation

Les 8 et 9 avril 2025, le Comité contre la torture a examiné lors de sa 82e session (7 avril 2025 - 2 mai 2025) le 7e rapport périodique de Monaco au titre de la Convention contre la torture "CAT" (CAT/C/MCO/7, distr. 8 juin 2023) établi sur la base d’une liste de points à traiter (soumise le 24 décembre 2019).

La délégation monégasque a présenté au siège du Haut-Commissariat aux droits de l’Homme de l’ONU à Genève, les évolutions du cadre juridique et institutionnel (dont législative en cours de préparation, système pénitentiaire, Haut Commissariat à la protection des droits et à la médiation, etc.).

Les observations finales du Comité diffusées le 26 mai 2025 portent recommandations sur les sujets suivants :

  • Définition et incrimination de la torture
  • Interdiction absolue de la torture et responsabilité du supérieur
  • Compétence universelle
  • Garanties juridiques fondamentales
  • Asile et non-refoulement
  • Conditions de détention à la maison d’arrêt de Monaco
  • Incarcération extraterritoriale et suivi des conditions des détenus transférés
  • Haut-Commissariat à la protection des droits et à la médiation et surveillance des lieux de détention
  • Établissements psychiatriques
  • Indépendance du pouvoir judiciaire
  • Irrecevabilité des preuves
  • Justice pour enfants
  • Châtiments corporels
  • Violence fondée sur le genre
  • Traite des personnes
  • Travailleurs migrants, y compris les travailleurs domestiques
  • Réparations
  • Formation

Agenda de suivi de Monaco :

  • au plus tard le 2 mai 2026, transmettre au Comité des renseignements sur la suite qu’il aura donnée à ses recommandations concernant la définition et l’incrimination de la torture, l’incarcération extraterritoriale et le suivi des conditions des détenus transférés, le Haut-Commissariat à la protection des droits et à la médiation et la surveillance des lieux de détention.
  • d’ici à la soumission du 8e rapport périodique, au plus tard le 2 mai 2029, informer le Comité des mesures qu’il prévoit de prendre pour mettre en œuvre les autres recommandations formulées dans les observations finales.

* * *

I. Observations finales du Comité contre la torture (Mai 2025)

SYNTHÈSE DES RECOMMANDATIONS :

Définition et incrimination de la torture

  • Modifier le Code pénal "afin d’ériger expressément la torture en infraction distincte et d’en donner une définition qui soit pleinement conforme" à la Convention contre la torture (article 1 CAT).
  • Etendre la portée de cette définition à la tentative de commission des actes de torture, à la complicité et à la participation (article 4 par. 1 CAT), et les actes de torture devraient être passibles de peines appropriées tenant compte de leur gravité (article 4 par. 2 CAT).
  • Ne pas soumettre l'infraction de torture à la prescription.

Interdiction absolue de la torture et responsabilité du supérieur

  • Incorporer le principe de l’interdiction absolue de la torture dans la législation (article 2 par. 2 CAT).
  • Garantir que l’ordre d’un supérieur ou d’une autorité publique ne puisse en aucun cas être invoqué pour justifier la torture. (article 2 par. 3 CAT) : mécanismes de protection des subordonnés qui refusent d’obéir à un tel ordre ; informer tous les agents de la force publique de l’interdiction d’obéir à des ordres illégaux et des mécanismes de protection existants.
  • Prévoir dans le Code pénal que "les supérieurs sont tenus pénalement responsables de la conduite de leurs subordonnés lorsqu’ils sont au courant ou auraient dû être au courant des actes que ceux-ci ont commis, ou étaient susceptibles de commettre, et qu’ils n’ont pas pris les mesures de prévention raisonnables qui s’imposaient ni transmis l’affaire pour enquête et poursuite aux autorités compétentes".

Compétence universelle

  • Pouvoir exercer effectivement la compétence universelle à l’égard des personnes présumées responsables d’actes de torture qui se trouvent sur le territoire monégasque, le cas échéant, à défaut d'extradition vers un autre pays (articles 7 et 8 CAT).
  • Fournir au Comité des informations sur les décisions judiciaires invoquant la CAT concernant l’extradition et la compétence universelle (article 5 CAT).

Garanties juridiques fondamentales

  • Faire bénéficier aux détenus (en droit et en pratique) dès le début de leur privation de liberté (en droit et en pratique) des garanties juridiques fondamentales pour la prévention de la torture, indépendamment du motif de la garde à vue, notamment le droit d’informer de leur détention un membre de leur famille ou toute autre personne de leur choix.
  • Modifier le Code de procédure pénale : garantir que la durée de la garde à vue n’excède pas 24 h, renouvelable une fois dans des circonstances exceptionnelles dûment justifiées par des éléments tangibles.
  • Personnes prenant part aux activités liées à la détention : formation adéquate sur les garanties juridiques fondamentales ; contrôle de leur respect ; sanction des manquements des fonctionnaires.

Asile et non-refoulement

  • Veiller "à ce que, dans la pratique, aucune personne ne puisse être expulsée, refoulée ou extradée vers un autre État où il y a des motifs sérieux de croire qu’elle risquerait d’être soumise à la torture" : adopter un cadre juridique et institutionnel national en matière d’asile (garanties procédurales contre le refoulement ; procédure de détermination du statut de réfugié conforme aux normes internationales ; recours effectifs et accessibles dans toute procédure de renvoi).
  • Formaliser le cadre de coopération avec l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) (clarté, transparence, effectivité, mécanisme de suivi des dossiers).
  • Garantir l’effet suspensif automatique des recours contre une décision d’expulsion, de refoulement, de remise ou d’extradition.
  • Etablir des mécanismes nationaux efficaces concernant les demandeurs d’asile vulnérables, notamment les victimes de torture, et les orienter sans délai vers les services compétents.

Conditions de détention à la maison d’arrêt de Monaco

  • Poursuivre l'amélioration des conditions de vie au sein de la maison d’arrêt, le Comité rappelant l’Ensemble de règles minima des Nations Unies pour le traitement des détenus (Règles Nelson Mandela), les Règles minima des Nations Unies pour l’élaboration de mesures non privatives de liberté (Règles de Tokyo) et les Règles des Nations Unies concernant le traitement des détenues et l’imposition de mesures non privatives de liberté aux délinquantes (Règles de Bangkok).
  • S’assurer que les personnes en détention provisoire peuvent avoir des visites ou des appels téléphoniques sans autorisation spécifique des autorités judiciaires.
  • "Tout en étant conscient des contraintes d’aménagement du territoire de l’État partie, celui-ci devrait entamer une réflexion sur un éventuel transfert vers une nouvelle structure pénitentiaire plus conforme aux standards internationaux de privation de liberté et de prévention des mauvais traitements".

Incarcération extraterritoriale et suivi des conditions des détenus transférés

  • Personnes condamnées par les juridictions monégasques à une peine privative de liberté et exécutant leur peine en France : permettre au juge d’application des peines monégasque d’effectuer des visites de suivi des détenus ; garantir que ces personnes ont librement accès à un avocat indépendant de leur choix.
  • Consacrer formellement la nécessité du consentement explicite des condamnés à Monaco à leur transfèrement en France.
  • Dissiper les incertitudes juridiques quant aux obligations incombant à Monaco à l’égard des personnes détenues en France (réception de plaintes ; conduite d’enquêtes sur les allégations de torture ou mauvais traitement ; garantie d’une réparation ; examen de communications soumises par des particuliers en application de l’article 22 CAT).

Haut-Commissariat à la protection des droits et à la médiation et surveillance des lieux de détention

Établissements psychiatriques

  • Fournir aux professionnels médicaux et non médicaux des établissements psychiatriques une formation sur les droits des personnes handicapées, sur les méthodes d’intervention non violentes et non coercitives.
  • Contrôle adéquat, garanties pour prévenir tout mauvais traitement à l’égard des personnes prises en charge dans ces établissements.

Indépendance du pouvoir judiciaire

  • Veiller à ce qu’il soit préservé de tout type de pression ou d’ingérence indue, notamment de la part du pouvoir exécutif : composition du Haut Conseil de la Magistrature (assurer une représentation majoritaire des magistrats élus par leurs pairs ; renforcer ses pouvoirs en ce qui concerne les nominations, les promotions, les suspensions, les transferts et les révocations des juges et des procureurs, ainsi que les mesures disciplinaires visant ces derniers).
  • Encadrer strictement les instructions écrites du Secrétaire d’État à la justice au parquet.

Irrecevabilité des preuves

  • Interdire l'invocation d’aveux ou de toute autre déclaration obtenus par la torture comme élément de preuve dans une procédure, si ce n’est contre la personne accusée de torture.
  • Formation obligatoire pour tous les agents des forces de sécurité, les juges et les procureurs, en s’inspirant des Principes relatifs aux entretiens efficaces dans le cadre d’enquêtes et de collecte d’informations (Principes de Méndez).

Justice pour enfants

  • Assurer la pleine conformité avec les normes internationales, y compris la Convention relative aux droits de l’enfant, les Règles des Nations Unies pour la protection des mineurs privés de liberté et l’Ensemble de règles minima des Nations Unies concernant l’administration de la justice pour mineurs (Règles de Beijing).
  • Envisager de : relever l’âge de la responsabilité pénale ; abroger les dispositions du Code de procédure pénale permettant de placer des enfants de moins de 13 ans en garde à vue pour les besoins de l’enquête ; interdire explicitement le recours à l’isolement disciplinaire à l’encontre des enfants de 16 à 18 ans.
  • Renforcer le recours à des mesures non judiciaires pour les enfants accusés d’infractions pénales et, si possible, appliquer des peines non privatives de liberté.
  • Veiller à ce que les conditions de détention des enfants soient conformes aux normes internationales (accès aux services d’enseignement et de santé).

Châtiments corporels

  • Interdire et ériger en infraction les châtiments corporels dans tous les contextes (famille, garderies, structures de protection de remplacement, centres de détention).
  • Renforcer les programmes de sensibilisation à l’intention des parents et des professionnels qui travaillent au contact et au service d’enfants (promouvoir des formes positives, non violentes et participatives d’éducation des enfants).

Violence fondée sur le genre

  • Cas liés à des actes ou omissions des pouvoirs publics ou autres entités engageant la responsabilité internationale de l'Etat : enquête approfondie, poursuite des auteurs présumés, peines appropriées, réparation y compris sous la forme d’une indemnisation adéquate.
  • Adopter une stratégie nationale pour prévenir et combattre toutes les formes de violence à l’égard des femmes, avec des mesures spécifiques pour les femmes victimes de violence domestique en situation de grande dépendance économique vis-à-vis de leurs conjoints.
  • Formation systématique des juges, procureurs, agents chargés de l’application des lois, avocats sur l’ensemble des dispositions légales.
  • Encourager et faciliter le dépôt de plaintes et éliminer efficacement les obstacles qui pourraient empêcher les femmes de signaler les actes de violence.

Traite des personnes

  • Renforcer le cadre législatif (ériger la traite des personnes en infraction autonome dans le Code pénal) et ses politiques publiques (stratégie nationale de prévention et de lutte).
  • Enquêtes promptes et approfondies sur les faits de traite des personnes et les pratiques connexes, poursuivre et dûment sanctionner, tout en garantissant l’accès des victimes à des recours utiles.
  • Accélérer l’adoption et la mise en œuvre de la circulaire portant plan de coordination interservices (identification et prise en charge des victimes).
  • Protection et soutien adéquats : créer des foyers spéciaux bien équipés et dotés de personnel qualifié ; renforcer les mesures de réintégration à long terme ; réparation y compris sous la forme d’une indemnisation adéquate, quelles que soient la nationalité et la situation au regard du droit au séjour.

Travailleurs migrants, y compris les travailleurs domestiques

Réparations

  • Etablir un mécanisme de réparation spécifique incluant les formes de réparation pertinentes que sont la réadaptation, la satisfaction et la non-répétition.

Formation

  • Renforcer les programmes de formation initiale et continue afin de s’assurer que tous les agents de l’État (membres des forces de sécurité, fonctionnaires judiciaires, personnel pénitentiaire, agents des services d’immigration, employés des compagnies de sécurité privées et autres personnes susceptibles d’intervenir dans la garde, l’interrogatoire ou le traitement des personnes soumises à une forme quelconque d’arrestation, de détention ou d’emprisonnement).
  • Former spécialement le personnel concerné, notamment les juges, les procureurs et les membres du corps médical, à déceler et attester les cas de torture et de mauvais traitements, conformément au Protocole d’Istanbul tel que révisé.
  • Concevoir et appliquer des méthodes permettant d’évaluer l’efficacité des programmes de formation (réduction du nombre de cas de torture et de mauvais traitements, repérage et consignation de ces actes, enquêtes et poursuite des auteurs).

II. Principaux points présentés par Monaco (Avril 2025)

Incrimination de la torture

  • En l'état du droit monégasque, la torture est prohibée par l'article 20 de la Constitution, avec l'aggravation des infractions (meurtre, viol, séquestration) lorsqu'elles sont commises avec actes de torture ou barbarie. Les crimes aggravés par la torture se prescrivent après 30 ans. La nullité des preuves obtenues sous la torture est garantie par le Code de procédure pénale et la jurisprudence fondée sur la Cour Européenne des Droits de l'Homme.
  • Monaco envisage d'intégrer une définition complète de la torture dans le droit monégasque, conformément à l'article 1er de la Convention, incluant l’imprescriptibilité du crime de torture, la nullité des preuves obtenues sous la contrainte et l’inopposabilité des ordres hiérarchiques.

Protocole facultatif à la Convention des Nations Unies contre la Torture (OPCAT)

Le Protocole "a pour objectif l’établissement d’un système de visites régulières, effectuées par des organismes internationaux et nationaux indépendants, sur les lieux où se trouvent des personnes privées de liberté, afin de prévenir la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants".

  • Monaco n'exclut pas sa ratification qui nécessite des études d'impact, tout en donnant la priorité à la ratification des instruments internationaux principaux relatifs aux droits humains.

Réfugiés

  • Le réfugiés relèvent du droit commun pour l'entrée et le séjour à Monaco. 23 réfugiés y sont actuellement accueillis. Les refus de demandes d'asile sont motivées et peuvent faire l'objet d'un recours.
  • Monaco a mis en place un permis de protection temporaire pour les citoyens ukrainiens qui vivaient à Monaco avant février 2022 (cinquantaine).

Coopération internationale

  • Monaco n'a reçu aucune demande d'entraide judiciaire et n'a pas traité d'affaire internationale impliquant des actes de torture.
  • Une demande d'extradition a été rejetée par la Cour d'appel de Monaco en raison de préoccupations relatives à la protection des droits de l'homme.

Institution nationale des droits de l’homme

Garantie des droits fondamentaux

  • Les garanties en matière de garde à vue sont les suivantes : droit à l'avocat dès la première heure, enregistrement audiovisuel obligatoire, droit au silence, droit à un examen médical, droit de prévenir un proche sauf s'il est estimé que cette communication est de nature à nuire aux investigations (article 60-7 du Code de procédure pénale). Seuls les mineurs de plus de 13 ans peuvent être placés en garde à vue, sauf exception grave.
  • La Maison d'arrêt est le seul centre de détention à Monaco. Surveillé par des mécanismes internationaux, des améliorations ont été apportées (lumière naturelle, cour d'exercice, salle de jeux, climatisation, fin de l'isolement cellulaire, assouplissement du règlement intérieur). L'incarcération et la détention provisoire des mineurs sont des mesures de dernier recours (alternatives aux poursuites pénales, placement au Foyer de l'enfance).
  • Monaco envisage de formaliser la procédure de transfert vers un établissement pénitentiaire français, les demandes étant généralement formulées par des citoyens français. Aucun Monégasque n’est détenu à l’étranger.
  • Le Haut Commissariat reçoit les plaintes des détenus et un organe de contrôle interne au sein des forces de police peut être saisi par la justice pour enquêter sur des policiers accusés de violations des droits de l'homme. Les procédures judiciaires sont déclenchées après le dépôt de plainte auprès du procureur général.

Réparation et assistance aux victimes

Formation des magistrats et des policiers

  • Les magistrats suivent 5 jours de formation annuelle sur les droits humains, et l'Etat veille à intégrer rapidement les décisions de la Cour Européenne des Droits de l'Homme.
  • Les policiers reçoivent une formation de 10 mois incluant l'éthique, la dignité des personnes, l'usage proportionné de la force et l'interdiction de la torture.

Indépendance de la justice

  • Le pouvoir judiciaire qui émane du Prince est intégralement délégué aux cours et tribunaux. Le Secrétaire d'Etat à la justice qui administre ce pouvoir est distinct du Gouvernement. Il peut adresser des instructions de politique générale au procureur général sous forme de circulaires, sans émettre d'instructions individuelles.
  • Le Haut Conseil de la Magistrature émet des avis obligatoires sur les nominations, promotions et sanctions disciplinaires.
  • Les juges et procureurs sont recrutés par concours, formés à l'Ecole Nationale de la Magistrature française, et suivent un stage de 2 ans à Monaco. Deux tiers des magistrats sont des juges français détachés.

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Sources :

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