27
nov.
2025
Droit international et européen
Droit civil
Droit de la famille
Droit public
Family Office
2025
Droit international et européen — Droit civil — Droit de la famille — Droit public — Family Office
Conférence sur "Le droit des couples homosexuels : une position encore tenable ?"
27 novembre 2025 (One Monte-Carlo)
99 AVOCATS ASSOCIÉS a organisé une Conférence consacrée à la place des couples homosexuels dans le droit monégasque et aux perspectives d’évolution.
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Introduction
Intervenant :Thomas BREZZO, Président du Conseil National
I - L’état du droit à Monaco : le prétexte de l’ordre public
Intervenants : Me Thomas GIACCARDI et Me Sarah FILIPPI, Avocats-Défenseurs près la Cour d'Appel de Monaco - Rozenn LEBOHEC ICYK, Responsable du Département Droit civil de 99 AVOCATS ASSOCIÉS
II - L’exemple français sous le prisme de la Cour Européenne des Droits de l’Homme (CEDH)
Intervenant : Me Patrice SPINOSI, Avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation
III - Un objectif atteignable ?
Intervenants : Me Thomas GIACCARDI et Me Sarah FILIPPI, Avocats-Défenseurs près la Cour d'Appel de Monaco
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Les questions abordées
— La reconnaissance à Monaco du mariage entre personnes de même sexe valablement contracté à l'étranger :
- A ce jour, la Principauté ne reconnaît pas les mariages homosexuels légalement contractés à l'étranger, les droits légaux des couples homosexuels mariés à l'étranger.
- Le juge suprême monégasque (Cour de révision, 18 mars 2024) a opposé l'exception d'ordre public. Sur la base de ce mécanisme du droit international privé, a été évincée la reconnaissance du mariage entre personnes de même sexe, au motif qu'il heurte les conceptions dominantes de l'ordre juridique monégasque qui n'ouvre le mariage qu'entre personnes de sexe différent.
- La Cour de révision a estimé que les articles 8 (Droit au respect de la vie privée et familiale), 12 (Droit au mariage) et 14 (Interdiction de discrimination) de la Convention Européenne des Droits de l'Homme (CEDH) n'imposent pas une obligation positive d'ouvrir le mariage aux couples de même sexe et que le contrat de vie commune (CVC) pour les partenaires du même sexe (issu de la Loi n° 1.481 du 17 décembre 2019) offre une reconnaissance et une protection juridique adéquate respectant l'orientation sexuelle de ces couples ainsi que leur vie privée.
- La Cour de révision a ce faisant cassé l'arrêt de la Cour d'Appel du 28 septembre 2023 qui avait considéré que l'interdiction du mariage entre personnes de même sexe n'était pas "aujourd'hui une valeur intangible en Principauté justifiant que l'exception d'ordre public soit actionnée pour le mariage valablement contracté (...) à l'étranger, en particulier sans fraude (référence faite dans l'arrêt à l'intérêt légitime de l'État de s'assurer que ses choix ne soient pas détournés)".
— La reconnaissance en droit monégasque du mariage entre personnes de même sexe :
- Les couples homosexuels peuvent conclure un contrat de vie commune (CVC) afin d’organiser leur vie commune. Le CVC enregistré à Monaco n’est pas mentionné à l’état civil des partenaires. Le CVC permet de bénéficier de certains droits attachés à la qualité de partenaire, dans certains domaines comme l'emploi, le logement, la santé et la sécurité sociale, la fiscalité.
- Mais le CVC ne permet pas d'accéder aux mêmes droits et obligations que les couples hétérosexuels par mariage, lequel est mentionné à l'état civil. Il ne permet pas de se prévaloir des droits et devoirs respectifs des époux. Il ne peut avoir pour objet ou pour effet de porter atteinte aux règles relatives aux successions (ne confère pas la qualité d’héritier désigné par la loi), à la filiation(par voie d'adoption ou dans le cadre d'une procréation médicalement assistée, par exemple), à l’autorité parentale, à la tutelle, aux droits familiaux.
- Dans son arrêt précité, la Cour d'Appel s'est appuyée sur les recommandations du Rapport sur Monaco de 6e cycle de la Commission européenne contre le racisme et l’intolérance (ECRI) du Conseil de l'Europe, adopté le 29 mars 2022 et publié le 9 juin 2022 : "24. L'ECRI recommande aux autorités monégasques de revoir la législation en vigueur dans l’optique d’offrir de nouveaux aménagements concernant les couples de même sexe. Dans ce contexte, il convient pour les autorités de réexaminer s'il existe une justification objective et raisonnable à toute différence de réglementation entre les couples de même sexe et les couples de sexe opposé (y compris les couples mariés à l’étranger) et supprimer toute différence injustifiée."
La Conférence a mis en lumière les obstacles et défis juridiques rencontrés par les couples homosexuels, en l'état du droit positif et de la jurisprudence.
Un éclairage de droit comparé a été proposé, à travers l’exemple français et celui d’États où la tradition religieuse est particulièrement marquée (Malte, Israël...).
La Conférence a également donné l'occasion d'analyser le récent et important arrêt de la Cour de Justice de l'Union Européenne (CJUE) (grande chambre), rendu le 25 novembre 2025 (sur renvoi préjudiciel) dans l'affaire C‑713/23 Jakub Cupriak-Trojan et Mateusz Trojan (époux en cause) c. Wojewoda Mazowiecki (voïvode de Mazovie, Pologne).
Bien que la Principauté de Monaco ne soit pas membre de l’UE et ne soit donc pas soumise à l’autorité des arrêts de la CJUE, la motivation de la CJUE concernant en particulier l’ordre public, l’identité nationale et les droits fondamentaux, n'en demeure pas moins d'intérêt au regard du droit monégasque :
- La CJUE s'est prononcée dans le cadre d’une demande de reconnaissance et de transcription, dans le registre d’état civil de la Pologne (qui ne prévoit pas le mariage entre personnes de même sexe), d'un acte de mariage contracté en Allemagne par deux citoyens de l'Union Européenne (un ressortissant polonais et un ressortissant binational allemand et polonais).
- La CJUE a retenu que les États membres de l'UE sont obligés de reconnaître, aux fins de l’exercice des droits conférés par le droit de l’UE (liberté de circulation et de séjour, droit au respect de la vie privée et familiale) le statut marital acquis légalement dans un autre État membre.
- En l'état, les règles relatives au mariage sont de la compétence des Etats membres, à laquelle le droit de l'UE ne peut porter atteinte. L'obligation de reconnaître le statut marital des personnes de même sexe ne méconnaît pas l’identité nationale et ne menace par l’ordre public de l’État membre, dès lors qu'elle n'implique pas pour cet État de prévoir le mariage entre personnes de même sexe dans son droit national.
- Les États membres de l'UE disposent d’une marge d’appréciation pour choisir les modalités de reconnaissance du mariage entre personnes de même sexe, la transcription d’un acte de mariage étranger n’étant qu’une des modalités possibles. Néanmoins, ces modalités ne doivent pas rendre une telle reconnaissance impossible ou excessivement difficile ni discriminer les couples de personnes de même sexe en raison de leur orientation sexuelle, ce qui est le cas lorsque le droit national ne prévoit pas, pour ces couples, une modalité de reconnaissance équivalente à celle octroyée aux couples de personnes de sexe opposé.
- En l'espèce, la transcription étant le seul moyen prévu par le droit polonais permettant qu’un mariage conclu dans un autre État membre soit effectivement reconnu par les autorités administratives polonaises, il est fait obligation à la Pologne de l’appliquer indistinctement aux mariages entre personnes de même sexe ou de sexe opposé.
- La question préjudicielle posée par la Cour suprême administrative polonaise (Naczelny Sąd Administracyjny) était la suivante :
« Les dispositions [sur le droit de circuler et de séjourner librement sur le territoire des États membres] de l’article 20, paragraphe 2, sous a) et de l’article 21, paragraphe 1, TFUE, lues en combinaison avec l’article 7 [Respect de la vie privée et familiale] et l’article 21, paragraphe 1, [Non-discrimination] de la [Charte des droits fondamentaux], ainsi qu’avec l’article 2, [point] 2, de la directive [2004/38 relative au droit des citoyens de l'Union et des membres de leurs familles de circuler et de séjourner librement sur le territoire des États membres], doivent-elles être interprétées en ce sens qu’elles s’opposent à ce que les autorités compétentes d’un État membre dont est ressortissant un citoyen de l’Union qui a conclu un mariage avec un autre citoyen de l’Union (une personne de même sexe) dans l’un des États membres, conformément à la législation de ce dernier État, puissent refuser de reconnaître cet acte de mariage et de le reporter par voie de transcription dans le registre national de l’état civil, en empêchant ces personnes de séjourner dans ledit État sous l’état civil résultant de leur mariage et sous un même nom de famille, au motif que le droit de l’État d’accueil ne prévoit pas le mariage entre personnes de même sexe ? ». - Les conjoints citoyens de l’UE jouissent de la liberté de circuler et de séjourner sur le territoire des États membres et du droit de mener une vie familiale normale lors de l’exercice de cette liberté ainsi que lors du retour dans leur État membre d’origine (Pologne en l'espèce). En particulier, ils doivent être certains de pouvoir continuer la vie familiale construite dans un État membre d’accueil (Allemagne en l'espèce), notamment par l’effet du mariage, au retour dans leur État membre d’origine.
- Le refus de reconnaître le mariage de deux citoyens de l’UE de même sexe, légalement conclu dans un État membre d'accueil, où ils ont exercé leur liberté de circulation et de séjour, peut provoquer de sérieux inconvénients administratifs, professionnels et privés, contraignant les époux à vivre en tant que célibataires au retour dans leur État membre d'origine. Un tel refus est contraire au droit de l'UE : liberté de circulation et séjour (TFUE et Directive), et droit fondamental au respect de la vie privée et familiale (Charte des droits fondamentaux).
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